Sorti du Hangar, bourse de monnaie sous la main je la soupesais, estimais son poids sans vraiment réussir à me figurer ce qu'elle contenait. Un coup dans le dos perturba mon calcul. Dans son baluchon de toile, l'oiseau fauteur de trouble de ma précédente mission s'agitait mollement. Sans grande conviction. Juste assez pour manifester sa présence. Le ciel se montrait sous son voile le plus sombre à cette heure. J'avais mieux à faire que de vagabonder entre les allées de palmiers et de fenêtres aux rideaux tirés.

Je risquais un coup d'oeil dans la besace où reposait l'oiseau. Effectivement, celui-ci somnolait. Il frottait nerveusement son bec dans son repos. Le frottement produisait un bruit plutôt chatoyant quoique sec. Recroquevillé qu'il était, avec sa couronne de duvet tacheté, il ressemblait davantage à une grossière pâtisserie de miel.

"- "Kloug", ça t'ira bien, je trouve."

Je patientais quelques secondes, espérant en secret qu'il saisisse mes mots. Rien n'interféra la régularité de sa respiration. Ni ne l'interrompit dans ses discrets craquètements. Au moins, peut être cela aura-t-il nourrit ses rêves. Néanmoins, je ne résistais pas à le sortir de son nid obscur pour le lover dans mes bras. Et son duvet cotonneux contre mon torse me fit l'effet du feu qui nait d'une bougie entre les mains. Je ne connais pas de mots pour ça. Alors je continue de marcher. Je demanderai à Ame Sel. En attendant, je ne me sens pas fatigué. Puis, à cette heure, les auberges doivent être pleines. Je rechignais à l'idée de passer une autre nuit sur le port, las des matins au goût de sel et d'abats de poisson. Le sable est froid sous la plante de mes pieds. Qu'en est il du désert par delà ces murs?

Je frissonne. Tâchant de ne pas blottir davantage Kloug contre moi. Ne pas le perturber plus qu'il n'en faudrait pour gâcher ça. Je m'engage dans une rue où de très hauts murs laissent gerber des plantes à leurs sommets. Sans doute abritent-ils un petit palais. Approchant d'un portail renfoncé au dedans, j'entends le glouglou d'une fontaine. Je veux m'approcher, essayer de l'apercevoir en rejoignant le portail. Peut être même que ses propriétaires pourraient requérir mes services si j'y passe... À un moment plus approprié. Je fixe la cour luxuriante entre les motifs creusés dans le fer de la porte. Et je reste là en suspend de longues minutes. Quand un ripement sec m'alerte qu'une paire de babouches s'agite dans ma direction, je n'ai pas le temps de faire volte-face et la nuit s'avance plus encore que je ne l'aurai crû possible.

Ma lucidité resurgit comme à tâtons. J'ai les cheveux qui collent à mon front et du sel dans la bouche. Mauvais présage. Aussi, mon dos me lance. Et quand il me prend l'envie d'y appliquer ma main, quelque chose me retient. De cette résistance se répand de la peur. J'ouvre plus grand mes yeux et m'éveille. Me voilà allongé sur le ventre, contre un bois sombre. Tout autant que l'est le reste de la pièce. Poings et pieds liés. Un grincement au dessus de ma tête retient mon souffle. Des pépites de lumière crépitent entre les lattes du plancher qui me surplombe et des voix ténues, comme des rumeurs, ne m'aident pas à souffler ma solitude. Seul un petit piaillement m'aide à y voir dans ce noir. Kloug est avec moi, tout près. Je m'échine à m'approcher en gesticulant comme une larve, tout ça pour m'apercevoir que des fers l'entourent. Une cage d'où les épaisses plumes de ses ailes n'ont pas l'espace de s'étendre. Je n'avais jusque là jamais entendu la notion de justice comme quelque chose pouvant se matérialiser en sentiment. Je devinais simplement que cette douleur au ventre qui s'enflammait au dedans en était une manifestation. Elle gonflait et je croyais que j'allais pouvoir éclater mes liens grâce à la seule force de celle-ci.

Ma fureur baissa d'un cran aussitôt que des pas au dessus de la tête prirent plus d'entrain. Ils avaient l'air décidés. Poussé par l'urgence, je tentais de mâcher mes cordes à l'aide de mes dents en rasoirs. Et je secouais la tête comme un enragé pour rendre me rendre la liberté. J'avais beau grogner, scier, tirer, les fibres des cordes ne s'érodaient que très doucement. Kloug émit à ce moment un petit cri pitoyable. Je braquais sur lui des yeux de hibou. Il avait glissé sa tête minuscule entre ses barreaux et se tenait le bec entrouvert. Je me précipitais lui tendre le lien que j'avais entamé. Avec quelle facilité il le sectionnait. De là, mon carcan se détendit et dégoulina le long de mes membres. Je ne pris même pas le temps de m'en débarrasser dans son entièreté que je fis apparaître mon épée lourde. Le bruit d'un loquet que l'on tourne me glace l'échine. Je n'ai alors plus rien à perdre et m'apprête à frapper la cage d'un coup décisif, mais déjà, la porte de la cale grince et me suspend dans l'amorce de mon geste.

Demeuré en chien de fusil le temps que l'obscure silhouette se dévoile à la lumière blafarde. Je tins son regard à la même température qu'il me le jetais. Comme de sa seule autorité, il était maitre de cette cave. Que d'un geste, c'est tout le lieu qui se pliait à son désir. Ainsi, je me trouvais non pas en face d'un simple ennemi, mais sans doute du chef de ce lieu qui avait pouvoir sur mon environnement. Sans esquisser le moindre geste, je tâchais de disséquer les termes de son contrat. À son sourire qui transpirait de suffisance, je ne savais pas s'il était réellement sûr de se fier aux règles imposées par un personnage qui soignait son air fourbe.

Je laissais planer le silence tout du long, une sourde colère crépitait dans mes yeux. Si ça n'avait tenu qu'à ma seule peau, oui, j'aurais pris mes jambes à mon coup, accepté les termes de ce duel et profiter de ne pas pouvoir en mourir pour me sauver. Sauf que le facteur Kloug ne me laissait pas indifférent. Je n'étais pas mort d'affection pour cet animal déjà. Je ne savais pas encore quoi bien en faire. Il ne m'apportait rien, pour l'instant. Aussi, impossible pour moi d'attaquer en dehors d'un duel de ce que m'indiquait ma map. Sans doute que je n'avais pas quitté Amyrabad. Mes habitudes se rangeaient rarement dans ce genre de petits jeux. Oui, mes habitudes de chien isolé. Le fait que Kloug ait été la source de mon ennui ce soir ne me laissait pas indifférent. Je croyais en avoir hérité par un concours de circonstances plutôt anodines. Le motif seul de cet enlèvement surpassait mon estime pour cet oiseau, de façon plus forte encore que l'idée du pécule de la vente d'un tel animal. Si je voulais ne plus tracer ma route sans personne, il me faudrait me battre. Non, ne me le prouver qu'à moi même ne signifiait pas grand chose. J'osais espérer que le trésor que renfermait la cage puisse un jour recevoir quelque chose de méritant, issu de ma victoire ce jour là. Sans lui déjà, je n'aurais pas su me dépêtrer de mon entrave et seulement pour ça, je lui étais redevable.

Moins crispé sur mon arme, je fis dérouler le menu d'interactions de cet inconnu sous mes yeux et le demandais en duel. Sans plus de cérémonie, je reprenais mon arme à deux mains, en garde. Le jaune de mes yeux n'en tarissait pas de consumer son regard supérieur.

Dans un souffle, je m'en sortais déjà avec une estafilade à la joue. Je voulu faire un pas mal assuré en arrière devant la fulgurance du coup. Déjà, un autre vint me pousser dans le dos et me déséquilibrait. Mon épée se ficha dans le sol et c'est sur ce troisième pied que je fus en mesure de retrouver mon centre de gravité, en m'arcboutant au devant, position cavalière, j'allais décrire un grand détour et lui flanquer le tranchant qu'il cherchait quand ce fut le plafond qui vint à ma rencontre. Les planches au dessus de ma tête éclatèrent sans que je n'ai le temps d'assouvir la moindre de mes impulsions.

Seul le temps de switcher, m'emparer de mon bouclier et de me laisser choir par terre, recroquevillé. Une fois enseveli sous les combles, je marquais un temps. Aucune lumière ne filtrait sous mon abri de fortune. Seul les tocs du bois qui cogne qui allait en diminuant. Je fis grâce au silence. Ici je n'avais pas d'ombre pour me trahir. Il s'écoula de longues secondes où je demeurais pour mort. Je tâchais de prêter attention au son de ses pas, mais aucun signe ne m'informait de sa position. Il fallait que je sorte.

Je me levais d'un bond, expulsant les débris de poutres dans tous les sens avec la levée de mon bouclier. Dans le feu de mon geste, je changeais d'arme, reprenant celle qui m'étais la plus fidèle et fonçais droit sur mon adversaire dès que j'eus croisé son regard. Tout mon corps se braquait sur cet estoc. Un, deux, j'escaladais le monticule de débris d'un pas léger et me projetais de plein front vers mon ennemi. Mon corps s'arque en arrière et, comme un retour d'élasticité, se rétracte dans l'autre sens. Je fais profit  de cette dynamique et du plafond clair pour abattre mon arme dans un coup que je chargeais de toute ma fureur. A ce moment, un éclat qui ne m'était pas familier fit luire ma lame et je sentis un flux violent courir dans mes veines. Sur le côté de mon champ de vision apparut "Earthquake activated". Je ne me posais pas davantage de questions en voyant que le moment de l'impact était désormais imminent. Si tout ce qu'il a à m'offrir ne sont que des coupures et de l'esbroufe, je dessinais comme ça le bref l'espoir de placer une offensive plus lourde de conséquences.

J'étais trop creux pour bien saisir ce qu'il entend par « noble ». Ce mot n'a pas d'envergure. J'ai le cœur qui saccade et j'en rate un battement au moment où, persuadé que j'allais piquer sur mon ennemi, celui-ci s'évade de mon champ. Tout alentour n'est plus que secousse mais ce chaos se fige dans un heurt qui cingle mon dos avant de rebondir sur le derrière de ma jambe. Ecorché, je me cambre en arrière. Chacun de mes muscles se raidit et m'arrache un rugissement aussi féroce que pathétique. Comme un retour d'énergie, je sens toute ma carcasse qui s'alourdit, comme si le seul poids de l'air se déclinait en douleur. Mon épée vient profondément se ficher dans le bois par terre et je garde à son manche un appui plus sûr que mes deux jambes. Je le vois me jauger du haut de sa taille. Le temps d'un souffle, je scrutais son regard reptilien. La vivacité de ses coups m'avaient pris au dépourvu et bien que je sentais encore les vestiges du mal brûler mon dos et tirer mes jambes, mon corps serait capable d'en endurer plus. Tant que c'était ce qu'indiquait ma barre de vie, je tâchais d'y croire. Ses prunelles froides, ses cheveux qui dégueulent sur ses épaules de cuir lustrées, ce sourire tiré. Cette somme de chose qui lui fait incarner la peau d'un être outrancier, un artiste dans les coups bâtards. Je ne me montrerais pas souple. A ce moment, ma fureur bouillonnait déjà trop fort pour être modérée. J'ai ce regard fou et vacillant. Je montre des dents et respire au travers de ces dernières. Je sifflais plus fort que n'importe que toutes les bêtes de cette cave. C'étaient mes canines qui aiguisaient mes soupirs.

J'aurais pu attendre cet instant où, à force de croiser le regard, de les laisser se consummer, on en tient plus de rester immobile. Mais parce Kloug glapissait, que je m'étais mis à trembler d'ivresse, je fis un bond. Je m'aidais de mon épée stabilisée pour me permettre de raccourcir la distance qui me séparait du voleur d'une enjambée. Mes pieds ne touchèrent le sol qu'au moment où je fus à sa portée. Mon épée se mit à luire dès l'instant où je songeais à charger mon attaque d'une force allant au delà de la simple frappe. Je décrivis un large arc de cercle, me laissais emporter par l'élan et ainsi, couvrit un champ vertical. Je tourne sur moi même. Reprend pied sur mes chevilles, n'attendant même pas de savoir si mon adversaire saurait anticiper ce premier assaut. Mais au moment de vouloir en tenter une seconde, je chancelle sur un débris. Mes pas se dérobent et je roule sur le côté jusqu'à rencontrer le mur de la cave. Je me redresse aussi vite que possible. Mon dos déjà endolori frotte durement contre la paroi et je retrouve ma garde. Une appréhension empruntée de la bile qui me tord les boyaux envahit toute ma gorge. C'est toute ma peau qui se met à pâlir de détresse, ou peut être une assurance froide qui coule comme une eau glaciale et qui fait chanter à ce combat un air redoutable. Impossible de se passer de l'hymne du risque à ce stade.

Recap: