D'un pas vif Âme sel retournait sur son passage mottes de mousse et feuilles mortes. Déterminée, elle s’avançait entre les arbres nus et les épines avec pour seule pensée celle qui l’obsédait depuis son arrivée à Javikhölm : cette image furtive, apparition volée au paysage au cours des combats menés pour protéger Alwine.
Les montagnes étaient imprenables, lui avait on dit. Elle peinait à le croire, et se refusait à l'admettre. Il lui fallait au moins le vérifier par elle même. Les monts escarpés qui perçaient les sols de la région étaient tant de refuges pour les bovinés locaux. Ces bêtes, loin du monde, en avait fait leur royaume – peu connues des joueurs, elles restaient hors de portée. Mais si le jeux les avait inclus, ca n'était pas pour servir de simple décorations. La demoiselle avait depuis son arrivée dans le jeu (et le choix de son arc) décidé qu'elle ferait l'acquisition d'une monture, et désormais qu'elle l'avait vue , elle n'en voulait aucune autre.

C'était son premier jour sur ces terres. Elle ne les connaissait pas et n'avait pas attendue, dévorée par l'impatience. S'enfoncer dans les Sjorn lui semblait encore le meilleur moyen de faire plus proprement connaissance avec. Cette fois ci, elle était livrée toute entière à eux et n'avait pas d'autres obligations que celles qu'elle se donnait. Elle allait prendre cette montagne, et l'y trouver. Il n'en allait pas là d'un simple désir, mais d'une certitude.

De l'écorce craqua sous son pas, lourdement. Un nuage de vapeur quittait ses lèvres – le climat était radicalement différent de celui d'Amyrabad, mais elle s'y habituait. Sous sa parure, un corset de cuir et des vêtements de la région cintraient désormais son corps - et l'escalade et les combats auraient sans aucun doute le mérite de la réchauffer un peu. Ses prunelles claires se posait sur la cime blanche qui se dressait devant elle – elle avait cru percevoir un mouvement. Mais un autre, non loin d'elle, s'emparerait bientôt de son attention.

La mousse s'anima de remous comme la surface d'un étang sous l'agitation d'un banc de poissons. Les petits boutons, délicats et timides, frétillèrent les un contre les autres - ce qu'ils annonçaient était bien moins charmant que leurs frottements innocents. L'archère, sur le qui vive, arma sans attendre leur apparition : déjà, les enchevêtrements ocres s'arrachaient au sol et aux plantes grimpantes en tournant leurs orbites évidés vers elle. Dans l'un deux se ficha la première flèche.

La joueuse savait qu'elle avait toutes les chances de tomber sur des monstres locaux en voulant atteindre le pied des montagnes. Imperturbable elle faisait face à l'imperturbé, le squelette achevait de s'extraire pour se tendre vers elle. Mais il était lent. Déjà le deuxième projectile était armé, et d'un geste précis venait se ficher dans le second orbite, obstrué de terre gelée. La barre de vie diminua à vue d'œil, pour mourir - ces mottes de terre étaient une chance, dans la mesure où les hitbox des squelettes (elle avait eu le temps de le découvrir la dernière fois) étaient strictement réduites à la surface de leurs corps.
C'est aussi ce qui ferait du second squelette un ennemi bien plus redoutable.

Son crâne évidé ne présentait qu'un trou béant soutenu par une colonne vertébrale décharnée. Ses côtes pendaient mollement et faisait résonner à chacun de ses pas un petit cliquetis creux. Son bassin charnu retenait tout juste sa jambe gauche, dont il ne restait qu'un os fin et entamé. Une flèche fusa, sans atteindre sa cible. La fine pointe de métal se glissait entre les côtes de la créature mieux que si elle ne l’avait souhaité : le monstre demeurait indemne. Amsel grognait pour elle-même, alors que définitivement dépêtré de ses entraves végétales, le décharné se mettait en marche vers elle.
La jeune femme reculait légèrement, l’arc toujours bandé à la main, sondant son adversaire. Ou viser au mieux ? Le bassin, et la clavicule au mieux, dans son cas. Sa démarche était brinquebalante, ponctuée de trébuchements et de tressauts : en somme, elle constituait à elle seule son pire ennemi. Se concentrant, Âme sel se concentrait sur la trajectoire de sa flèche, continuant à reculer légèrement, à mesure que le squelette avançait, de plus en plus vite…

Cette stratégie lui fit défaut. Il accélérait d’un coup, surprenant l’archère qui sursauta a son tour : le sol accidenté des Sjorn eu raison d’elle. A cela près que la vulgaire chute sur une racine lui évita le coup d’épée gauche de la bête. Ils étaient désormais assez près l’un de l’autre pour jouer. D’un coup de pied franc, l’Archère repoussait le monstre pour le faire décoller à son tour, se redressant elle-même avec un peu de peine. Elle bondissait en arrière, décochait une flèche sur ce qu’il restait de sa clavicule – baissant sa barre de vie de moitié. Heureusement qu’ils n’étaient pas coriaces, c’était au moins ca de gagné.

En fait, ca en faisait même un bon entrainement à la visée… Se dit-elle en profitant de son redressement fastidieux pour décocher sa dernière flèche.

Verdict:

Un vent lourd s’éleva, sifflant entre les branches sèches des Sjorn. Les plantes locales jetaient par-dessus les ramages nus leur masse pesante, dont les rideaux épais vibraient sous son souffle comme possédés. Avec lui l’air se chargeait d’odeurs, denses et sauvages qui venaient prendre au cœur la joueuse. Parmi elles une était à la fois reconnaissable et nouvelle – une odeur d’étable, de sueur, de bœuf. Mêlée à de la chair morte. La jeune femme se redressa complètement, aux aguets, parcourue d’un mauvais pressentiment.
Un craquement retentit dans les environs, non – beaucoup trop près.

Faisant apparaitre patience Amsel se retourna vivement, évitant de justesse le coup de l’énorme minotaure qui venait de se ruer sur elle. Sa course pourtant lourde avait été étouffée par le sol humide, les cris des squelettes et du vent. Il s’était peut être immobilisé quand le silence c’était refusé à le couvrir, pour mieux l’attaquer de front une fois la distance rompue. Ou était ce simplement un ennemi que le jeu avait cru bon de faire poper près d’elle ?
Qu’importe la manière dont il avait réussit à l’atteindre : il était là. Coriace, massif. Les deux coups de massue qu’il fit s’abattre sur la surface du bouclier ébranlèrent tout le corps de l’archère, la contraignant a reculer pour ne pas tomber sous le choc. Elle recula, les yeux rivés sur lui, anticipant son prochain mouvement. Sa gestuelle était lente, dévoilant toute sa haute stature, il levait le bras. La bête faisait… Au moins deux mètres trente de haut. Et pas autant de large c’est vrai, même si elle aurait été tentée de parler en ces termes sur le coup. Ses cornes massives brisaient les branches sur son passage, déchiraient les maigres volutes de feuillages ayant survécu au climat et à l’humidité. Le vacarme était assourdis par le sol recouvert de mousse et de vase, mais les arbres grinçaient et poussaient de longs gémissements sous sa progression. Sa massue rencontra à nouveau son bouclier, sans finesse. Et au quatrième coup, la plus haute de ses cornes se coinçait dans un embranchement plus épais et coriace que les autres. Âme Sel en profitait, procédant aussitôt au Switch.

Mais c’était sans compter la main froide qui entailla sa taille, ayant trouvé une ouverture entre les pans de sa cape. La sensation glacée fit frissonner la jeune femme de tout son long. Une étincelle. Faisant volte face, elle amarrait la flèche destinée au buffle pour la ficher dans le crâne du squelette. A peu de choses près, elle aurait pu sentir son souffle mortifère sur son visage. Il s’était extirpé de terre et avait profité du grabuge : elle avait manqué d’attention. Encore à moitié ensevelis sous terre, il ne put éviter la deuxième flèche qu’elle lui destinait, reculant. Le squelette éclatait.

Heureusement qu’elle portait son nouvel équipement… Sa barre de vie avait quadruplé de volume - et ce qui jadis aurait manqué de lui être fatal ne représentais plus désormais qu’une menace mineure. D’un vif déplacement en arrière, elle évitait de justesse le gourdin du Zombie qui grognait toujours après elle, ébranlée néanmoins par la secousse. Une vive douleur parcourue sa jambe, alors qu’elle retirait de son flanc entaillé sa main pour s’armer d’une nouvelle flèche. Un regard assassin – il était temps de s’occuper de ce gros lourd.

Sa barre de vie avait beau être conséquente désormais, à trop tergiverser elle se mettait en danger. Qui sait combien d’autres squelettes pouvaient profiter du boucan et de l’affrontement dont il était l’origine pour apparaitre. Elle allait s’occuper de son cas. Mais sa masse imposante la bloquait, et un enchevêtrement de ronces entravait sa progression. Son arme la gênait. Alors, plutôt que de reculer encore et pour s’aménager des tirs, elle allait s’en débarrasser. Encaissant son coup, elle le laissait passer entre la garde et la corde de son arc – l’objet, présumé faible en lui-même mais quasi indestructible, supporterait cette extravagance. D’un geste sec, elle tirait la massue dans un angle contraire à celui de la paluche le maintenant, plantant profondément la flèche qu’elle tenait de son autre main dans son poignet. La bête poussa un cri – une gerbe de sang préprogrammée apparut sur le visage de la joueuse. C’est vrai, elle avait désactivé le mode de censure pour tester. La surprise la déstabilisa néanmoins, lui valant une éraflure profonde alors que le cornu se redressait avec violence.

L’occasion pour filer – elle prenait son recul. Tirait la flèche jusqu’à sa joue… Cette loque l’avait suffisamment embêtée pour qu’elle veuille s’en débarrasser au plus vite : il lui restait les deux tiers de sa barre de vie, une seule flèche ne suffirait donc pas. Son projectile s’illuminait d’une lueur bleutée, rappelant celle de son overdrive. A coté de son arme, une inscription : Arrowfall.

La pluie de flèches, fatale, perça le décomposé de toute part, l’achevant proprement.
Sa masse, si imposante, chavirant mollement, n’eut pas le temps de toucher le sol.

Verdict:

Le sang battant à ses tempes et au creux de ses oreilles. Un instant, Âme sel avait eu peur – cet instant était passé, au profit du suivant. Une forme d’ivresse, gourmande, la gagnait. L’adrénaline avait prit ses marques et s’emparait de ses sensations. Le répit qu’elle avait désiré quelques secondes plus tôt l’ennuyait déjà, et elle tournait les yeux vers la montagne qui avait guidé ses pas.

Armant une nouvelle flèche, la jeune femme s’élançait sans prudence. Elle avait peu de chance de trouver la bête qui hantait ses pensées du premier coup, en une journée. La région était plus dangereuse, lui semblait il, que les plantations d’Opium qu’elle avait parcouru à Amyrabad, et il faudrait s’y tailler pour survivre.

La flèche se tendit, comme éveillée par une impulsion. La silhouette qui se profilait entre les feuilles tombantes se déplaçait lentement, avec nonchalance, cliquetant à chaque pas. Un sourire étirant ses lèvres, l’archère libérait sa sentence.

Mais le sol se déroba sous ses pieds. Un grand craquement se mêla a des cliquetis, et happée par la pesanteur, Âme sel se faisait avaler. Le contact froid des os et des armures assaillirent sa peau – plus cruellement encore qu’avant. Les mains fines, squelettiques, enserraient ses jambes et son ventre, l’effroi succédait à la stupeur. Précipitée dans ce trou béant entre la mousse et les racines, elle ne parvenait même pas à compter le nombre de crânes édentés qui se profilaient sous ses yeux. Les enjeux du monde dans lequel elle évoluait lui remontaient à la gorge. Engouffrant la main dans la sacoche saillant à sa ceinture, elle sauvait ses fesses

Qui retombèrent lourdement sur les dalles d’une ruelle du quartier des cosaques, libérées la par les pouvoir de la pierre de rappel. Le souffle court… elle se faisait bouffer par la frustration – se jeter sans réfléchir portée par l’adrénaline, c’était censé être la méthode miracle. Mais le miracle en l’occurrence, c’était plutôt sa survie. Se redressant, elle y retournait sans hésitation.