Une journée bien merdique qui commence, dans un monde déjà devenu sans saveur. La lune de miel d'une vie virtuelle sans limite était déjà bien passée. Après avoir pris le temps de profiter d'une courte nuit, il était déjà temps de se remettre en marche : Farmer. Pex. Grinder. Tous ces termes bizarres que cet idiot de "XxDragonoVxX" avait instillé dans mon cerveau lors d'une conversation la veille se balançaient à mesure où j'approchais d'une gigantesque forêt.

Quand on sait qu'on joue réellement sa vie dans un monde virtuel - qui au fond qui n'en valait même pas la peine - on a de quoi sérieusement péter un câble. Et qui sait ce qu'ils pouvaient bien faire à mon corps, coincé dans la "salle de jeu" de notre cher prison tout confort de Sjelni-Nogorod ?

Mais dans l'immédiat, l'heure était à l'action.

Dans le bois putride de la Fin de Sjorn, il semblait que les mobs étaient d'un niveau accessible, même pour un nouveau joueur. Un noob. Moi !

Alors que j'entre dans le bois, quelques silhouettes gesticulant au loin attirent mon attention. Au moins une, semblant chercher quelque chose dans les recoins d'un arbre.

Je m'approche, sans me douter qu'il pouvait s'agir d'une créature hostile.

Alors que je m'approche du bois, de cette silhouette indéfinie, je ne pèse pas vraiment les risques et commence une conversation à haute voix :



En cet instant, je réalisais à peine que ma requête était adressée à un squelette, immonde, plutôt artistique et supportable par rapport à la vue d'un vrai tas d'os calcinés. Un bruit de craquèlement étrange, de rouille et d'os, et un regard vide, sombre. Lentement, ils se dirigea vers moi.


Saisissant mon bâton, je souris nerveusement alors que la créature accélère le pas. J'en ai vu d'autres. Bien d'autres. Qu'il s'agisse de dealers en colère, de codétenus, de flics pourris, d'ivrognes, d’entraînements, j'avais déjà livré bien plus de combats que n'importe qui sur ce jeu ! S'il s'agissait vraiment d'un monstre de base, ce serait une formalité de lui exploser la tronche.

Dans l'instant qui me séparait de l'inéluctable confrontation, je me rappelais des fondamentaux : toujours imposer le rythme, toujours prendre l'initiative. Toujours contrôler le combat, l'espace, les émotions.



Je parle déjà comme un abruti, rempli de testostérone et d'adrénaline. Alors que la créature arrive à portée, je lui décoche une frappe ascendante puissante. En théorie, assez balaise pour lui fendre le crâne. C'était oublier le fait que nous étions dans un jeu vidéo, et que mon adversaire était un squelette inanimé.
Ignorant mon attaque, le contondant, la concussion, il me cible d'une frappe à l'épée qui me fit tressaillir : a quel point l'attaque serait douloureuse, dans ce monde virtuel, si je n'esquivait pas ?

Inutile de l'expérimenter maintenant. Profitant de mon appui, je dash vers l'arrière, et laisse sa lame fendre l'air. Aussitôt, je renchéris avec une frappe frontale, vers sa gorge. Encore une fois un réflexe stupide. Comme si cibler avait de l'importance ?

Alors que la créature recule, je vois sa barre de PV tomber au tiers. Oui ! C'était ça, un monstre facile ? Il fallait faire un minimum d'efforts, mais c'était faisable, réalisable. Je pouvais le faire ! J'allais battre mon premier monstre virtuel. Mais j'étais trop confiant...
Les PV du monstre n'influaient pas sur son comportement. Comme pour les PNJ de la taverne, il continuait à se battre avec la même fougue. Me re-ciblant à nouveau d'une attaque, j'avais déjà amorcé la mienne en voulant le finir au plus vite. Alors que sa lame me frappe, je ressens une douleur, assez vive mais supportable, alors que ma frappe lourde le fait disparaître dans un éclat de pixels lumineux.

Enfin !

En vainqueur, j'estimais que j'en avais déjà fait bien assez. Faisant disparaître le bâton dans mon inventaire, je n'allais pas m'attarder plus longtemps dans cette forêt, ni prendre le risque de tomber à nouveau sur un squelette, ou sur une créature plus dangereuse encore !

Récap des Actions:

C'était juste.

Ok, je n'étais pas à 1PV près, mais j'ai vu ma vie tomber à vitesse grand V, alors que j'imaginais pouvoir supporter bien plus d'attaques. J'avais 100PV, et chaque attaque m'en faisait perdre près de la moitié !

Constatant le retour à la normale de ma jauge de PV, je réalisais qu'il était déjà possible pour moi de retenter le coup, prenant bien en compte que 2 attaques reçues était ma limite actuelle.
Mais un nouvel adversaire serait l'occasion de continuer à évoluer, gagner en expérience, et enfin pouvoir acquérir mes premières techniques.

Sans m'enfoncer pour autant dans la forêt, je continue à avancer prudemment, observant le paysage alentour.

Je ne changerai pas d'arme. J'observe mon inventaire, et note uniquement une bière gardée de la veille, ainsi qu'une pierre de Rappel qui pourrait m'emmener en ville en cas de problème. Parfait : j'avais droit à l'erreur, à condition d'être suffisamment réactif.

A nouveau, des bruits attirent mon attention.

[Jet de dé : Squelette]

Voila qu'un nouveau squelette s'approchait de moi. La même dégaine. Le même aspect pourrissant, exactement les mêmes caractéristiques physiques, éraflures ou turgescences artistiques. Je comprenais clairement le sens du mot "farmer", maintenant. Cette créature était exactement la même que la précédente, et ses mouvements seraient similaires.



Faisant tourner mon bâton dans les airs, je laisse le monstre s'approcher de moi, à nouveau. Alors qu'il s'élance, je l'interrompt avec une frappe en oblique, faisant siffler l'air pour atteindre sa nuque osseuse. Celle ci résiste. Où est le réalisme ?! Bordel ! Aucun muscle, nerf, tendon, rien qui ne relie rationnellement ce tas d'os. Rien d'autres que des PV, tombant lentement au 2 tiers, comme prévu. Aucun modificateur, pas de variation. Peu importe où je frappe, comment, avec quelle intensité, les monstres souffriront toujours autant.

S'en suivent deux attaques, que j'esquive cette fois successivement, sans prendre de risque. Je recule juste assez pour qu'il perde son allonge, et assez pour profiter de la mienne.

Ce combat n'était pas un challenge. Ce  n'était qu'une formalité. Il fallait en finir au plus vite.



Frappant sa mâchoire de bas en haut, je joue les casse cou en effectuant un large saut, impulsé par ma première frappe.
Je sens, dans l'élan, une sorte de force nouvelle que je ne saurais expliquer. D'en haut, j'assène une attaque le plus fort possible, pour l'achever. Je vois briller une jauge, nommée "Overdrive", qui vire au gris en même temps que la créature s’écrasait au sol avant de disparaître dans des millions de pixels de couleur.

C'était beau. J'avais déjà atteint le palier 0 de ses PV, et pouvait déjà profiter de ma deuxième victoire.

Bâton sur l'épaule, je reprenais la route vers le quartier des Cosaques, où je pourrais reposer mes jambes fatiguées sous une table, et manger jusqu'à m'en faire exploser le bide.

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