Le plat de la lame sur l'épaule, trônant sur la colline qui surplombait les alentours, une guerrière venait de naître, tranchant indubitablement avec la jeune rebelle de la banlieue israélienne ; abandonnée dans sa chambre, ne laissant désormais qu'une simple enveloppe charnelle, dénuée de vie. Sa silhouette, à présent de conquérante, incarnait parfaitement l'archétype des protagonistes de contes fantaisistes, des jeunes héros manichéens combattant le mal.

Dans un monde où s'entre-mêlait malicieusement le réel et l'irréel, la joueuse avouait difficilement son emprise au défi lancé par l'instigateur de ce désordre, virtuel. Effectivement, malgré son aversion pour toute cette supercherie, Beth concédait n'avoir jamais été aussi vivante que maintenant, sentant les battements de son cœur rythmer chacun de ses organes, cette violente adrénaline qui entravait sa respiration, ou encore ce frisson qui parcourait son échine. Dans ce paradoxe amusant, l'enfant innocente avait substitué son simple paraître, par son véritable être, son essence propre. Pour la première fois, elle n'exhibait pas une vulgaire fille, progéniture de la misère et du chagrin, elle n'était pas Aaron Âlissa... Elle était devenue Beth Nephilim, terreur des ruines et démons de Samarkhande. Parcourant l'horizon de son regard, déterminé, elle lançait un défi, une menace, au Maître du Jeu.

—  Nul recoin de ces contrées ne sera assez sombre pour vous cacher, je vous trouverai, et vous tuerai ! Non sans plaisir, en prime.

Après sa mise en jambe, musclée, il était temps d'en apprendre un peu plus sur l'univers du jeu. Errer dans ces paysages vétustes, torturées par le temps et la désolation, ne la conduirait pas à sortir de cette geôle dorée. Seule la population, fictive, pourrait la renseigner davantage sur ces régions sibyllines. Il lui fallait donc rejoindre pour la première fois, la civilisation. Elle ne pouvait trouver la solution, seule. Solitaire de nature, il n'était pas dans ses mœurs de miser son avenir sur un quelconque quidam, encore moins dans un monde factice. Dans son existence morne et spleenétique, la protagoniste avait appris qu'on ne pouvait se fier qu'à soi-même, encore que... même son subconscient pouvait la trahir. Néanmoins, elle ne pourrait compter sur sa maigre expérience de ce jeu pour terminer la partie. C'était donc à contre-cœur qu'elle se dirigea vers la ville, désireuse de forger - elle-même - son propre destin. Tel était son sens moral.

Les sentiers étroits et ardus s'estompaient, petit à petit, laissant place à une route pavée, gage de la proximité de la ville. Dans la précipitation, la débonnaire n'avait pas jugé utile d'user du didacticiel pour ses premiers pas dans le jeu, incapable d'en savoir ainsi davantage sur l'endroit où elle avait débuté la partie. Elle ne connaissait donc rien du monde qui l'entourait, encore moins de cette cité mystérieuse qui dévorait désormais, tout le paysage. Nonobstant le maléfice qui s'était emparé de ce "divertissement en réseau", Beth ne pouvait que s'extasier devant ce tableau, ces édifices féeriques se baignant dans cette mer céleste, laissant entrevoir de derrière son voile bleu-turquoise quelques montagnes escarpées. Une légère brume sublimait un peu plus le site, faisant de ce lieu envoûtant un vrai décor de carte-postale si seulement la mort ne la guettait pas derrière chaque repli ténébreux.

Il ne fallait pas être un vétéran pour comprendre que cette agglomération transpirait la magie et les enchantements, à se demander si ce n'était pas grâce ces artifices surnaturels que cette cité demeurait debout. La novice n'était, même dans sa vie passée, guère une aficionado de ces illusions et lapins sortis du chapeau. Cette derrière c'était d'ailleurs axée vers une arme en accord avec ses affinités et non une quelconque "arme magique". Au grand Dieu jamais elle n'aurait risquée son existence avec des tours de passe-passe, préférant voir les chairs se déchirer, ses victimes se noyer dans leur propre hémoglobine. Gore et sanglant, tel était le style qu'elle prônait, revendiquait. Elle laissait la classe et la grâce aux héros, ceux qui remplissent les cimetières, oui ! Il n'était d'ailleurs pas impossible qu'une personne en subisse les frais, non sans tarder. Beth se sentait épiée depuis son arrivée, une présence l'observant dans l'ombre. Cette sensation désagréable mettant ses sens en alerte depuis qu'elle avait franchi les portes de la ville, sans savoir d'où celle-ci provenait. Sur ses gardes, la main sur la poignée de sa cimeterre, elle était prête à être mise à l'épreuve, une nouvelle fois. Le regard impassible, elle n'exhibait qu'un visage froid et inexpressif, se contentant de continuer ses pérégrinations dans les ruelles.