Et voilà, elle était coincée. Lenore, ou plutôt Âme sel, posa le pied à terre encore stupéfaite par le réalisme du mal de mer qui l’avait frappé. Lorsqu’elle avait embarqué sur un coup de tête à bord d’un navire commerçant vers « le reste du monde virtuel », elle n’avait pas pensé un instant subir ce genre de désagrément. Certes, elle n’avait pas fait de bateau souvent et était loin d’y être habituée… Mais dans un jeu ? Il lui arrivait encore souvent de dévisager sa main, fine et légèrement plus petite que « les siennes ». Son avatar était un peu moins grand qu’elle. Elle avait réussi à se flanquer dans un corps moins mastoc que celui avec lequel elle était née pour mission impossible au pays de tu va mourir face a des monstres – chouette.
Son premier contact avec pays s’incarna en l’une des briques du mur auquel elle du s’adosser le temps de retrouver son bien-être. Le visage encore blême et le teint cireux, elle ne leva qu’ensuite les yeux vers la ville qui s’offrait à elle. Waow, tout paraissait beaucoup plus beau, maintenant. Elle n’avait pas regardé grand-chose d’autre que le sol sous ses pieds en se concentrant très fort, avant d’arriver enfin à bon port.
Les paysages de la cité État lui avaient fait à peu près le même effet la première fois, mais trop de choses avaient changées depuis. Elle était loin d’être froussarde, et pourtant le besoin de mettre les voiles, de partir, loin, avait été impétueux - impossible de quitter le jeu, évidemment. On remplace comme on peut. Elle n’avait même pas pris la peine de demander au PNJ où menait leur navire et s'ils étaient d'honnêtes gens. N’empêche, des PNJs quoi. Même pas des vrais gens. Bien sur elle y était habituée – mais la nouvelle de leur sentence avait radicalement changé sa vision de ce joyeux espace de « divertissement ». Tout cela était leur réalité, désormais…

Et pourtant les gens n’avaient pas l’air si choqués.


Oubliant son voyage, Amsel avança. Autour d’elle et dans les rues adjacentes, d’autres navires déversaient leur marchandise sur le port, qui gagnait aussitôt d’autre flot. Des petites mains, présentes pour leur faire gagner les entrepôts… Courbant l’échine, il s’affairait à leur tâche misérable, l’air de cette distance de parfaits êtres humains. Mais dans ce monde, ce genre de personnes n’étaient elles pas plutôt incarnées par des entités informatiques ? Hm. En temps normal, elle aurait décoché une flèche, pour voir.

Au lien de ça, elle fut invitée par un gros baraq’ (plus qu’elle irl, pour le coup) à gouter les eaux du port. Trempée jusqu’aux os, mi-s’étouffant mi pestant, un gout atroce dans la bouche, elle se hissa sur l’un des innombrables escaliers de brique rouge qui, des quais, descendaient dans l’eau. Glissant sur la vase ayant pris d’assaut la pierre, la chemise blanche maculée, elle parvint à s’extraire tant bien que mal, en se demandant si on pouvait bêtement mourir empoisonnée dans ce contexte comme dans la vraie vie. Un coup d’œil vers sa barre de vie lui indiqua qu’a priori, non. Un mal pour un bien ? Hagarde, trempée, et assise par terre, elle demeura quelques instants pour être sure que ces Pvs ne descendaient pas, les sourcils froncés.

Loin, loin, très loin, par-delà la brume maudite des confins de cette architecture royale se terrait un vice insondable, perturbant jusqu’aux plus profondes certitudes des rares curieux portés à y songer … Pourquoi avoir osé ?

De retour sur ces côtes majestueuses, grouillant d’une vie que nul ne contestait malgré la présence d’une multitude d’individus biologiquement vides, dénués de consciences si ce ne fusse imitées par la grâce de la technologie. Des marchands par-ci, des forgerons par-là, puis encore  des loubards usés par un manque d’hygiène relatif au temps passé à naviguer, éclipsés par intermittence via ces  galions sublimes s’amarrant contre les parois rocheuses du port oriental. Chacun bougeait à son rythme en une valse étrangement accordée dont la consistance mettait inévitablement en relief la sature du magicien complétement immobile et proche du rebord, les pupilles scrutant des horizons dépassant assurément les mers azurées tout autour. Rien ne semblait le perturber, pas même les quelques disputes normalement agaçantes.

Un soupir d’entre la rosée de ses lèvres, lourd, insistant … Presque suffisant à réinvestir les voiles de ces bateaux commerçants …

Aucune galère ne risquait de l’embarquer là, bien que la durée de son excursion sur la seconde destination de sa liste s’allongeait à vue d’œil, enquis davantage d’une méditation inspiratrice, apaisante. Les charmes d’Amyrabad s’avéraient si envoutantes qu’un petit moment de répit combla le doute incrusté dans les traits de son visage, masqué ici par le capuchon de sa tunique. Mais cela atteignit un terme indubitable lorsqu’un détail particulier titilla la sensibilité de son ouïe, similaire à une marchandise renversée par mégarde cognant la surface de l’eau. Intrigué, les sourcils affinés, Jaha détourna subitement son attention vers ce qui venait de disparaitre en une seconde, sans pouvoir le définir. Ce dernier effectua un premier pas méfiant, puis plusieurs autres épris du besoin d’aider une éventuelle personne en danger, même si l’éventualité l’étonnait fortement au sein de cette zone sécurisée.

Une main jaillit soudain, tel un mort vivant revenu des enfers pour s’en prendre aux villageois … Possible ? Uhuh …

Son élan s’estompa promptement dès la découverte d’un protagoniste réelle, suintant l’humidité palpable de sa tenue en une pluie marquant ses traces sur le sol. Dans un jeu, ça ? Etrange … Ses réflexes le poussèrent quasiment à dégainer sa baguette, ou en tout cas en faire une tentative à l’efficience inexistante en ces lieux. Cependant, la contrindication ne le retint pas dans ses intentions naturellement altruistes de vocation, lui laissant le temps de reprendre avant d’ombrager sa silhouette de sa posture droite, mystérieuse.

Jaha - C’est que vous m’en apprenez de nouvelles choses …

D’un geste vif du bout des doigts, la voile finement ornée de dorures glissa en arrière, permettant ainsi d’établir un contact visuel avec la demoiselle présumée en apparence. À sa grande surprise, l’avatar féminin se targuait d’origines méconnues encore au voyageur des grandes terres, à l’instar d’un minois plutôt fin et sa teinte relativement éloignée de la sienne. Qui, quoi, comment ? Pas maintenant … Le dialogue purement verbal devait attendre, à en croire sa main détachant lentement les liens de sa cape retenue au niveau du cou et le transférant directement depuis son inventaire, jusqu’à couvrir les épaules de la rescapée.

Jaha - Mais acceptez tout de même ceci, sait-on jamais des effets la brise maritime traîtresse sur l'humidité de votre tenue.

Si jamais la maladie existait dans ce système … Cette précaution en valait le coup. Là, sa véritable tenue parue au grand jour, dévoilant par la même occasion le bleu de minuit propre à sa chevelure, renfermant en eux les reflets de la lune sur les parois glacés des montagnes du Javikhöm …

Lenore leva les yeux les sourcils haut – dans ce monde d’hommes programmes, elle ne s’attendait pas à ce qu’on vole à son secours. Et lorsqu’elle te vit, elle se demanda un instant si, au vu de ta longue cape sombre et ta dégaine de mage, tu n’étais pas un PNJ de plus. Mais elle rectifia bien vite : les gens ne venaient ils pas sur ce genre de plateforme pour assouvir leur fantasmes ? Ici, toutes les excentricités étaient permises (et courantes). Et compte tenu de son apparence actuelle, elle ne pouvait pas dire grand-chose. Pourtant, elle ne se l’expliquait pas tout a fait – elle n’avait jamais fantasmé le fait d’être plus asiatique et plus pulpeuse. … Si ? Non.

Quand tu parlais d’apprentissage, tu faisais certainement référence à la possibilité d’être mouillé, frileux, et accessoirement sale – oui, nous étions tous nés de la dernière pluie, ici. Et si frais que nous n’en avions pas encore fait l’expérience ni connu une goute. En plein milieu du désert, aussi… Mais les orages viendraient, tôt ou tard. A moins que la météo soit moins soignée que le reste, bien sur.

« Merci. » Son sourire, maigre et à peine perceptible, ne collait pas encore tout à fait avec le visage qu’elle endossait. Mais tout le monde était suffisamment troublé, sans doute, pour ne pas encore prêter d’attention à ce type de détails. Les choses évolueraient en temps voulu, certainement. Elle se redressa, restant à une distance respectable de toi, s’enroulant dans le vêtement dans le doute. Allez savoir si les effets possibles de l’eau sur les tissus clairs étaient troublants de réalisme, eux aussi. A priori, non – sa chemise était épaisse. Mais aucune envie de jouer les allumeuses. Et tu lui avais prêté ta cape, elle allait en profiter un peu. Au moins, elle allait surement sécher comme une barre de vie se restaure, en une fraction de secondes.

« Je ne sais pas si on peut tomber malade, ici. Ca a l’air bon pour l’instant, mais il vaudra mieux se renseigner, sans doute.  » Elle ne savait pas si elle faisait bien d’expliciter ses inquiétudes de la sorte, elle ne connaissait rien de cet homme. Peut être était il très angoissé par toute cette situation… Ou un PNJ, ou un player killer, va savoir. Hésitante, elle se permit de te targuer longuement du regard, comme en proie à une brève absence. Dans la lune, elle l’était un peu. Non, c’est bien un PJ.
« Ca ne vous dérange pas si je la garde un peu ?   » Elle avait baissé les yeux vers la cape, qui –elle s’y attendait un peu maintenant- dégageait autour d’elle une sensation de chaleur véritable. Comme quoi, on n’en avait pas fini de s’extasier sur les propriétés du cerveau. Vu leur situation, s’en était même assez… flippant, en fait. Elle fut parcourue d’un irrépressible frisson.  

La révérence l’amusa. Il était à fond : de nature ou dans son personnage, là était toute la question. Se détendant petit à petit, agréablement distraite, elle se demanda quel âge tu pouvais bien avoir derrière ton avatar, quelle était ta vie réelle.. Jusqu'alors.
« Âme Sel. » Ou Amsel, tout simplement, si on se fiait à son oreille – cette version était tout aussi valable, compte tenu de sa signification. Pas  sur cependant qu’il comprenne qu’elle énonçait son nom, mais avec les pseudonymes, il fallait s’attendre à tout.

« Pourquoi pas. » Répondit elle simplement, le regard haut et tout à coup pensive. Qu’elle puisse tomber malade ou non, elle avait froid. Et arrivant à peine sur ses terres, elle n’en connaissait encore rien, si ce n’est que ce qu’elle en voyait était beau. Il fallait d’ailleurs qu’elle en retienne enfin le nom ; Amyrabad. Découvrir cet amalgame de culture moyen-orientale aurait le mérite de lui changer les idées, dans un premier temps tout au plus. Et vu que tu tombais à point nommé, tu seras son guide.

Machinalement, elle releva la capuche que tu lui avais si généreusement prêtée pour couvrir ses cheveux mouillés. Et tout en faisant cela, elle les touchait distraitement et songeait à la sensation qui l’avait stupéfaite tout a l’heure. En fait, elle avait froid, elle se sentait humide, mais pas tout a fait mouillée. Et finalement, ce qui lui restait de l’expérience tenait d’avantage d’un mélange d’odeur et de poids qu’à la réelle sensation du contact de l’eau… Il faudrait qu’elle réitère l’expérience, pour la peine. Ouais, mais dans une baignoire.

Amsel laissa échapper un souffle rieur. « Je suis sure que si j’étais venue à la nage, mon odeur serait bien moins agréable qu’elle ne l’est maintenant ! Surtout en venant de Xi. Mais qui sait, vous devriez peut être tenter l’expérience pour moi ? » La main sur la poignée de cuivre de l’établissement, elle poussait la lourde de porte sans te laisser le temps de la lui ouvrir avec courtoisie. Elle n’allait pas se faire assister, non plus – ou plutôt, elle prenait un peu d’avance, pour mieux se laisser offrir ce qui l’intéressait réellement ensuite. (Au diable la porte, elle avait encore assez de muscles pour ca.) Il fallait toujours abuser de la galanterie d’un homme. Ca faisait partie des conventions – et des privilèges de sa caste. Si elle avait été un mec, elle aurait joué un ava féminin juste pour ca, tiens.


L’endroit était chaleureux… Plutôt petit mais agréablement aménagé, et beaucoup plus propre et distingué que ce à quoi elle s’était attendu venant d’une taverne de port. Mais tu avais déjà tes petites adresses, visiblement. Soit. La jeune femme adressa un sourire au barman qui lui souhaitait la bienvenue, et s’avançait tranquillement vers le fond de l’établissement, ou une petite table était effectivement encerclée par deux bibliothèques et une cheminée. Pas vraiment un feu de bois, mais t’avais sans doute voulu faire ton char – et puis, là tout de suite, elle préférait ce coin cosy a un tronc humide et quelques brindilles dégageant une chaleur toute relative en plein air. Amsel, sans beaucoup d’hésitation, s’assit.
Se laissa couler en arrière, et croisa les jambes. C’était bien. Mieux que tout ce qu’elle avait imaginé en arrivant. Les paupières closes, elle se rendit compte qu’effectivement, elle avait faim – et se redressa. « C’est exactement ce qu’il me fallait ! Je ne sais pas ce que j’aurai fait sans vous. Elle prenait une voix douce et enjôleuse. La cuisine est bonne, ici ? » Et disant cela, elle ouvrait timidement son  menu pour jeter un œil à ses fonds, affichant une moue légère. Oh, elle pouvait bien s’offrir un bon repas et un petit verre, hein. Puis le refermait darre darre, pour dénouer ses cheveux et les laisser délicatement dévaler sur ses épaules fines. Un regard vers son hôte.